Le grand pingouin

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Le ciel qui avait grisonné et le vent qui s’était fait plus cinglant leur avait bien annoncé une tempête, mais la force avec laquelle elle crache et elle souffle a quelque chose de surnaturel dans l’esprit des cinq hommes. Ils se taisent, inquiets, cernés dans leur cabane par un orage d’une rare violence.

– » C’est ce drôle d’oiseau. C’est à cause de lui. « 

Ils mâchouillent leurs pipes et se regardent d’un air entendu. Quelques heures plus tôt, ils trouvaient sur l’île un oiseau noir et blanc, assez grand, flanqué de deux moignons d’ailes qui ne lui permettaient pas de s’envoler. Son énorme bec le rendait grotesque aux yeux des cinq compagnons, qui ont bien ri en le capturant.

Maintenant, ils ne rient plus. La bête est enfermée dans une pièce minuscule de la maisonnette, et elle fait un puissant vacarme. Elle crie, se débat, tandis que le bois de la cabane craque et frémit sous la violence de l’orage.

Trois jours. Le vacarme de l’oiseau, le ronflement agressif du vent, la pluie qui s’infiltre partout, pendant trois jours.

– » C’est diabolique, je vous le dis. J’ai jamais vu ça une tempête pareille.

– C’est point l’diable, c’est une sorcière qui s’est cachée sous l’habit d’un oiseau. J’vois pas quoi d’autre pourrait mener un boucan pareil et faire enrager le ciel en même temps. « 

Les trois jours ont épuisé les hommes, les ont usés, effrayés, poussés à bout. Convaincus de la culpabilité de l’oiseau, ils l’entraînent dehors dès que le ciel se fait plus clément, et entreprennent son exécution. N’ayant que des bâtons à portée de la main, ils frappent sur la bête à tour de rôle. Elle est vigoureuse, cette bête. Elle mettra plus d’une heure à mourir.

Cela se passait en 1840, sur l’île de St-Kilda, en Écosse. Cinq hommes superstitieux et ignorants ont massacré un des touts derniers grands pingouins de la planète.

L’extinction officielle de l’espèce est datée de quatre ans plus tard, soit le 3 juin 1844, alors que trois marins débarquent sur une île rocailleuse de l’Islande et y tuent un couple de grand pingouin, écrasant au passage l’œuf qu’ils couvaient.

Ce furent les deux derniers massacres d’une longue série ayant mené à l’extinction de l’espèce. En effet, l’histoire fort triste du grand pingouin fait parfois un frisson le long de l’échine.

Type d'animal Endroit où il a vécu Raison de l'extinction
Oiseau Atlantique Nord Chasse

Nomenclature

Nom latin: Pinguinus impennis

Morphologie et particularités du grand pingouin

Ce grand oiseau de plus de 70 cm habitait dans l’Atlantique Nord, appréciant les escarpements rocheux où il déposait son unique œuf loin des prédateurs terrestres. Ainsi, on en retrouvait des colonies dans l’Est du Canada et des États-Unis, en Islande, au Groenland et dans le Nord de l’Europe. À une certaine époque, il existait des millions d’individus.

L’animal était morphologiquement parfait pour la nage. Il plongeait et nageait avec grâce et agilité. Les adultes se nourrissaient de poisons, tandis que les immatures mangeaient du plancton. Ses petites ailes et ses pattes palmées lui interdisaient le vol et rendait sa démarche sur la terre ferme plus ou moins adroite et en faisaient une proie facile pour les humains.

Dans ses carnets de voyage, Jacques Cartier rapporte que ses hommes pouvaient parfois tuer plus d’un millier de ces oiseaux qui étaient fort abondants à l’époque sur la côte Nord-Est de l’Amérique du Nord. La colonie de l’île Funk, au Canada, aurait été la plus imposante au monde.

On dit que la chair et les œufs du grands pingouins étaient comestibles, et avaient bon goût. En plus de servir de repas, le grand pingouin avait d’autres avantages. Sa graisse était fort prisée, utile pour s’éclairer et se chauffer, et ses plumes étaient exhibées comme ornements sur les chapeaux. Son utilité la plus insolite est sûrement cette idée de se servir du grand pingouin comme appât pour la pêche.

Histoire de l'extinction

Quand les marins ont commencé à sillonner de plus en plus la Mer du Nord, les colonies abondantes de grands pingouins leur ont servi de garde-manger. Faciles à attraper, les marins en capturaient au passage une grande quantité. Ils en remplissaient des barques pleines, en tuaient quelques-uns et gardaient les autres vivant, leurs pattes clouées sur le pont du navire, afin de se conserver une réserve de viande fraîche pour le voyage.

Certains récits racontent aussi que pour traverser les hivers rudes, les habitants des îles de l’Atlantique Nord pouvaient capturer une importante quantité de grands pingouins et les conserver vivants dans une grange afin de s’approvisionner durant tout l’hiver.

L’extinction s’est faite par étapes progressives, selon l’accessibilité de l’endroit. Ainsi, les grands pingouins ont disparu de la Finlande dès les années 1300. Ensuite, ils se sont raréfiés dans les années 1700 sur les côtes de l’Amérique du Nord, pour disparaître complètement du Canada vers l’an 1800. Ils ont disparu du Groenland vers 1815, et ont survécu en Écosse jusqu’en 1840.

En 1830, une explosion volcanique accompagnée d’un grand tremblement de terre sur l’île Geirfuglakar, en Islande, a décimé presque toute la population de grands pingouins qui y nichaient. Les survivants se sont déplacés vers l’île Eldey, toujours en Islande, où furent tués les derniers spécimens de l’espèce en 1844.

Plus aucun grand pingouin n’a été « officiellement » aperçu par la suite, mais de temps en temps des gens affirment en avoir vu. Ces témoignages n’ont pas été vérifiés. Il pourrait s’agir de survivants de l’espèce, comme il pourrait s’agir d’une confusion avec une autre espèce d’oiseau.

grand pingouin

Les reliques de grands pingouins

Le tragique destin de cet oiseau décimé par l’appétit sans limite des hommes, se conclut sur une note toujours aussi déplorable.

En effet, lorsque l’oiseau s’est raréfié, les directeurs de musée et certains scientifiques ont commencé à s’intéresser à cette espèce. Ils offraient des sommes d’argent importantes en échange d’un œuf ou d’un spécimen et la chasse aux grands pingouins était devenue pour plusieurs une chasse au trésor.

Il existe encore aujourd’hui environ 80 grands pingouins naturalisés, 75 oeufs et une dizaine de squelettes dans plusieurs musées à travers le monde.

grand pingouin

Se pourrait-il qu'il existe toujours?

Témoignage d’un Finlandais nommé Jodaa qui travaillait comme patron d’entreprise sur les îles Lofoten, publié dans le magazine Bird Notes and News en 1929:  

« Il me dit qu’il avait vu un oiseau ce jour sous le débarcadère, qu’il n’avait jamais vu auparavant et qu’il ne connaissait pas du tout. D’après sa description j’ouvris grandes mes oreilles, et en réponse à une question pour savoir pourquoi il n’était pas monté au bureau pour me le dire, il répondit :
« — Je ne pensais pas que vous aimeriez ça, car c’était pendant les heures de travail.
« Je le pris avec moi à la maison et le testai d’après Yarrell. Au début j’ouvris le livre au grand plongeur, à propos duquel il dit aussitôt :
« — Oh non, je connais bien le storm lom, et le bec était tout-à-fait différent.
« Alors je tournai les pages jusqu’au pingouin :
« — Oh, celui-là se reproduit par milliers entre ici et Tromsö ; et d’ailleurs, cet oiseau était plus gros.
« Ensuite j’essayai le puffin, avec la même réponse. Fortuitement j’ouvris au grand pingouin.
« — C’est lui ! s’exclama-t-il aussitôt.
« — Mais, dis-je, le dernier cas authentique sur l’occurrence de cet oiseau était en 1843.
« — Je n’en sais rien, mais c’est bien l’oiseau que j’ai vu, et Evenson (mon charpentier) peut vous dire la même chose. »
« Pour prévenir toute collusion possible, je fis un détour presque directement et j’interrogeai Evanson. J’en vins au même test, et son identification immédiate fut la même que celle de Jodaa. Il n’y avait rien de plus à faire, et bien que j’eusse donné des instructions à plusieurs hommes d’ouvir l’oeil, on ne revit jamais plus l’oiseau. » 
– H.A.A. Dombrain, 1929

Références

  1. The Great Auk
  2. Great Auk, Audubon 
  3. La survivance du grand pingouin, Institut Virtuel de Cryptozoologie

2 Comments on “Le grand pingouin

  1. Pingback: Le Dodo - Mémorium

  2. Je ne suis pas un scientifique de formation mais je lis beaucoup, et je m’intéresse au monde animal, à la géographie, et dans une moindre mesure à la cryptozoologie. A défaut d’être un scientifique au sens strict, on peut très bien proposer des hypothèses basées sur des connaissances acquises en autodidacte.

    Pour ma part, le grand pingouin est une espèce candidate pour le terme de  » taxon Lazare  » pourquoi?

    Même si la dernière preuve de vie de cette espèce unique date de 1844, et que 2 ou 3 récits concernant des observations ultérieures ont par la suite été accepté, il n’en demeure pas moins que le Grand Pingouin à moins d’être un oiseau très abondant sur terre ( comme ce fut le cas il y a des centaines d’années ) serait très difficile à observer en cas de petites populations éparses et/où encore d’avantage en cas de zone désormais restreinte choisie comme refuge, lorsqu’il rejoint la terre ferme pour ses besoins de nidifications.
    Thése qui expliquerait que l’espèce devenue très rare passe complétement inaperçue :

    1) Le grand Pingouin est un animal qui vit la majeure partie de sa vie en mer ne rejoignant la terre ferme que pour la ponte des oeufs.

    2) On sait d’après les témoignages de l’époque qu’il choisit des îlots rocailleux souvent difficiles d’accès rendant l’accostage difficile pour les humains.

    3) A l’origine, bien qu’appréciant les eaux froides, son aire de répartition est importante dans le monde, surtout si l’on compare à d’autres espèces de volatiles endémique de certaines régions où îles, et elles aussi disparues à l’époque moderne. ( Dodo, Ibis de la Réunion, Moa de Nouvelle Zélande etc…)

    4) Il est possible, jusqu’à preuve du contraire, qu’avant la date de son Extinction officielle, certaines zones occupées par de petites colonies de Grand Pingouins soient passées inaperçues, le nombre d’îlots et la longueurs des zones côtières se trouvant dans son aire de répartition étant très importante.

    5) L’espèce étant censé être éteinte, il est logique que plus personne ne la recherche, et qu’en cas d’observation fortuite par des pécheurs où des marins actuels elle soit confondue avec d’autres espèces. ( Tout le monde ne connait pas l’existence du grand pingouin )

    6) l’oiseau mesure 70cm de hauteur et peut plonger profondément sous l’eau à des kilomètres au large des côtes, c’est donc plus difficile à repérer que des orques ou des baleines.

    7) Si des recherches étaient mises en place pour tenter de rechercher des survivants de l’espèce, le coût financier en serait exorbitant et il faudrait des années le temps d’explorer tous les lieux possibles de nidifications ( à condition de le faire au bon moment lorsqu’il n’est pas en mer ) rendant cette entreprise presque impossible.

    8) La seule possibilité de tomber sur des survivants serait d’avoir de la chance et d’être au bon endroit au bon moment.

    9) Le Pétrel des Bermudes redécouvert en 1951 ( 18 couples nicheurs ), aprés 300 ans d’absence, est un exemple convaincant de la possible survie d’oiseaux marins comme le grand Pingouin.

    10) Le grand pingouin en l’état de nos connaissances actuelles, n’est pas un animal territorial, il est susceptible de changer de lieu de nidification régulièrement pour des raisons de nourriture, de danger, etc…ce qui fait qu’en réalité nous ne saurions pas où le chercher mise à part les anciens endroits connus d’où nous l’avons exterminé.

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